L’arrivée soudaine des cryptomonnaies dans le paysage de la finance mondiale représente une révolution économique et sociale majeure. Elle permet notamment aux populations de s’émanciper d’organismes monétaires régulièrement défaillants et autorise enfin 5 milliards d’être humains sous-bancarisés à épargner et à effectuer des paiements à distance.

Nonobstant ces avancées sociales et économiques historiques pour la majorité de la population mondiale, de très nombreuses personnes restent avant tout préoccupées par les risques de blanchiment qu’offriraient les cryptomonnaies aux bandits de tous poils. En plus d’être plus performants ces nouveaux canaux financiers sont effectivement non discriminatoires, anonymes et ouverts à tous sans restriction, y compris aux pirates.

Tentons donc d’identifier et de quantifier ce risque posé par les cryptomonnaies et réfléchissons à l’efficacité et à l’utilité d’une législation financière en la matière.

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Cryptomonnaies et blanchiment : les chiffres

Ah les pirates… dieu sait s’il y en a ! A une autre époque certains d’entre eux souhaitaient recevoir des financements britanniques depuis la France pour lutter de l’intérieur contre le Reich. Ils n’avaient, fort heureusement, pas Bitcoin à disposition. Malheureusement les choses ont changé. Il est désormais impossible d’empêcher le financement de pirates ukrainiens participant à la révolution de la dignité. Inutile de bloquer les comptes bancaires de Wikileaks quand ceux-ci publient des vérités sur la CIA. Attendre n’est plus une option, légiférons !

Vous l’avez compris, ces exemples soulèvent volontairement un problème : la définition même du pirate est à géométrie variable selon les lieux, les époques et les points de vue. Passons cependant et penchons nous sur le très intéressant rapport 2022 de Chainalysis sorti il y a quelques jours. Cette entreprise américaine fournit des logiciels et données de traçage de cryptomonnaies aux agences gouvernementales, bourses et institutions financières dans plus de 60 pays.

Ce rapport est sans appel. Le pourcentage de transactions illégales dans le monde des cryptomonnaies est en chute libre. Par transactions illégales Chainalysis entend notamment les transactions liées aux crimes informatiques, demandes de rançons, financement du terrorisme ou encore aux échanges sur le darknet. Ce pourcentage est passé de 3.37% en 2019 à 0.62% en 2020 et enfin à 0.15% en 2021.

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Les transactions illégales (“Illicit”) représentent une infime part de l’utilisation des cryptomonnaies.

La croissance fulgurante des transactions en cryptomonnaies émane donc très largement des entreprises et particuliers honnêtes. En comparaison et d’après l’ONU les produits d’activités criminelles blanchis chaque année en monnaies fiat (euros, dollars etc…) représentent entre 2% et 5% du PIB mondial, soit 1.600 à 4.000 milliards de dollars par an. C’est 130 à 325 fois plus que le blanchiment imputé à l’utilisation des cryptomonnaies.

Les multiples lois anti-blanchiment énactées depuis 3 décennies semblent donc bien plus gênantes pour les petits travailleurs au noir souhaitant déposer 1000 euros dans leur compte en banque que pour les trafiquants internationaux. Pour preuve les multiples révélations récentes de blanchiment parmi les grandes banques de la planète pour des montants se comptant en milliers de milliards d’euros.

Alors osons poser la question : serait-il vraiment utile de légiférer sur les cryptomonnaies ?

Doit-on légiférer sur les cryptomonnaies ?

La question ne se poserait pas si les législations permettaient de lutter efficacement contre le blanchiment et si la décentralisation des cryptomonnaies ne les rendait pas incensurables. Car qui ne signerait pas pour empêcher certains odieux trafics d’avoir lieu ? Cependant agir de façon pragmatique et responsable impose d’estimer l’efficacité d’une mesure avant de légiférer, de réfléchir à ses conséquences dans son ensemble. C’est ce qui s’appelle juger de la balance bénéfices risques, ça vous rappelle forcément quelque chose.

Que tenterions-nous d’empêcher en légiférant sur les cryptomonnaies ?

Pourrions-nous éviter le blanchiment d’argent pourtant anecdotique en cryptomonnaies ? Il semblerait qu’on puisse au mieux légèrement le limiter comme dans le système actuel. Empêcherions-nous une personne A de payer une personne B sur une blockchain décentralisée ? Pourrions-nous bloquer des cryptomonnaies détenues sur une adresse par leur propriétaire (et non par une tierce partie telle qu’une bourse) ? Si vous avez répondu oui à ces deux dernières questions, vous n’avez pas encore compris le fonctionnement de la décentralisation de laquelle découle l’incensurabilité et l’insaisissabilité des cryptomonnaies.

“Quand le gouvernement tente d’arrêter le Bitcoin”.

Qu’empêcherions-nous vraiment en légiférant sur les cryptomonnaies ?

En légiférant un pays impacterait la capacité d’adaptation de ses entreprises et de ses citoyens à l’inéluctable tokenisation des économies mondiales. En décourageant les investissements dans cette nouvelle technologie il sacrifierait la croissance de demain. Ces conséquences économiques et sociales sont difficilement quantifiables mais un exemple français donne une idée du pouvoir destructeur de la législation dans de tels domaines naissants et à fort potentiel.

En 2017 est apparue une proposition de loi visant à interdire l’installation et l’utilisation de distributeurs de cryptomonnaies pour éviter tous risques de blanchiment. Comme souvent pour légiférer la France était force de proposition et précurseuse en la matière et le bitcoin valait alors 6.600 EUR. Résultat : la France est aujourd’hui un des pays au monde les plus sous-dotés en distributeurs.

Au vu des chiffres évoqués précédemment un tel retard contribue bien plus à limiter l’accessibilité au meilleur investissement de ces 5 dernières années aux citoyens français ainsi que leur adaption à cette nouvelle technologie plutôt qu’à limiter le blanchiment d’argent. La carte du site coinatmradar.com répertoriant la présence de distributeurs illustre très bien ce “no distributeur land” :

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Que se passera t-il si on ne légifère pas ?

Cela va peut-être vous surprendre mais nous savons exactement ce qu’il se passerait si nous décidions de ne pas légiférer.

Les premières lois anti-blanchiment n’ont commencé à apparaître qu’à la fin des années 80 sous l’impulsion des Etats-Unis qui furent les premiers à rendre le blanchiment d’argent illégal en 1986. La création par la suite du GAFI (Groupe d’Action Financière) en 1989 avait pour objectif d’étendre cette lutte à l’international. En France, le texte fondateur de la lutte contre le blanchiment est la loi no 96-392 du 13 mai 1996.

Depuis ces premiers textes de loi, les procédures se sont complexifiées avec notamment l’impulsion des attentats du 11 septembre et la lutte contre le financement du terrorisme. Il devient désormais compliqué de retirer son propre argent d’une banque en liquide sans apporter de justifications jugées suffisamment convaincantes par le banquier. En France le nombre de déclarations faites par les banques auprès de Tracfin a explosé et l’étau devrait continuer à se resserrer, sur tout le monde. Jusqu’à la fin de l’argent liquide ?

Est-ce réellement le monde que l’on veut ? Un monde dans lequel il n’est plus possible d’échanger financièrement avec une contrepartie sans qu’un gouvernement centralisateur ne soit au courant ? Que se passerait-il si on ne légiférait pas dans un tel domaine ? Le monde deviendrait-il anarchique et dangereux comme certains le prédisent ?

Rappelons tout d’abord que ne pas contrôler les échanges financiers ne signifient pas ne pas lutter contre toutes les formes de délinquance. D’ailleurs l’arme financière n’a jamais été la meilleure pour le faire. De plus cette lutte ne peut justifier la fin des libertés individuelles sauf à vouloir établir une dictature. Elle ne justifie pas de priver 5 milliards d’habitants de pouvoir enfin économiser de l’argent, l’envoyer à distance, l’investir et ainsi créer de la croissance.

L’Homme a survécu depuis la nuit des temps en ayant cette liberté primaire de pouvoir échanger avec qui que ce soit sans obtenir une autorisation préalable. Les premières écritures retrouvées en Mésopotamie nous apprennent que les hommes à cette époque écrivaient déjà des inventaires comptables. L’utilisation de la monnaie est ancestrale et c’est celle d’un langage commun qui permet à tout un chacun de stocker la valeur de son travail dans le temps et de l’utiliser comme bon lui semble.

C’est avec cette liberté d’expression que l’Homme a vécu durant des millénaires jusqu’aux années 90. Et vous voulez savoir ce qu’il s’est passé ?

Rien ne s’est passé.

Ce n’est pas parce que les hommes ont édicté des Lois que la Personnalité, la Liberté et la Propriété existent. Au contraire, c’est parce que la Personnalité, la Liberté et la Propriété préexistent que les hommes font des Lois.

“La loi” par Frédéric Bastiat.