Les détracteurs du métavers sous-estiment parfois le besoin humain de se créer un imaginaire. L’appétence de l’Homme pour les jeux vidéos “bac à sable” comme Minecraft, sans objectif autre que celui de se créer une réalité alternative, en est pourtant symptomatique. Il reste à ce jour le jeu le plus vendu de tous les temps et comptait encore 126 millions de joueurs actifs par mois en mai 2020.
Cette capacité à se projeter dans un imaginaire est aussi une force comme le décrit très bien l’historien Yuval Noah Harira dans son livre Sapiens : une brève Histoire de l’Humanité. C’est la révolution cognitive opérée par l’Homme il y a 70.000 ans qui nous permet de nous réunir en larges communautés autour d’idées et usages communs sans avoir à connaître tous les individus de notre groupe, à l’inverse des primates.
Le besoin pour l’Homme de revendiquer sa place à l’intérieur de ces groupes sociaux ou de s’en différencier est lui-aussi profond. Nous utilisons notamment l’art et les objets pour communiquer tacitement avec le reste du groupe. Quels que soient les lieux, les cultures et les époques, il serait naïf de croire que nos tatouages, tenues d’apparat ou autres sacs de luxe servent uniquement à protéger notre corps ou transporter nos affaires personnelles.
Serait-ce donc si étonnant de voir des groupes sociaux humains créer un monde imaginaire commun dans lequel leurs avatars déambuleraient affublés de NFT personnels ? Ces nouveaux réseaux sociaux seront-ils régulés et exploités par une entreprise comme Meta qui investit déjà des milliards ? Cette version édulcorée et centralisée du métavers présenterait à l’évidence des dangers pour la liberté humaine. Ou alors se développeront-ils sous forme d’applications décentralisées et financées par les utilisateurs eux-mêmes via l’acquisition de NFT ? De cette version libertaire, anonyme et potentiellement rentable pour les participants pourrait résulter une désinhibition totale de nos avatars nous renvoyant brutalement face au miroir.
L’avenir dira dans quels mondes digitaux les humains socialiseront mais cessons un instant d’être dépassés par notre imagination car pour l’heure ces métavers fantasmés… n’existent pas. D’ailleurs certains doutent qu’ils puissent devenir réalité et y voit une “douce techno-utopie”. Il faut bien dire que nous sommes encore loin d’un “Ready Player One” dans lequel interagiraient des millions d’avatars et NFT sur la même instance avec une définition similaire au réel. Un des ingénieurs en chef d’Intel estime qu’il faudrait augmenter encore par 1.000 fois les puissances de calculs actuelles pour obtenir un tel rendu.
Cependant tenter d’imaginer le futur impose de s’affranchir des contraintes du présent et ceux qui le créent sont rarement les adeptes résignés du “oui mais…” enchainés dans la raison et la réalité. De nombreuses entreprises qui se sont autorisées à rêver se développent aujourd’hui très rapidement dans l’univers des cryptos et des NFT grâce au cocktail formé d’intérêts financiers, de ressources humaines jeunes et talentueuses et de clients. La plus grosse levée de fonds de l’Histoire de la French Tech est une entreprise qui vend des NFT et son chiffre d’affaires est passé de 8 millions de dollars à 325 millions de dollars en 2021.
Ainsi quand Intel envisage de multiplier par 10 les puissances de calcul de ses processeurs d’ici 10 ans, d’autres projets innovants ont la ferme intention de contribuer à cet effort. C’est le cas du Render Network qui améliore grâce au cloud et à la blockchain le rendu de vos séries Netflix, HBO ou Disney. Plus de 10.000 utilisateurs actifs mettent déjà à disposition de ce réseau la puissance de calcul inutilisée de leur GPU et pour son fondateur Jules Urbach ils devraient être 100.000 d’ici la fin de l’année 2022.
Lors d’une récente intervention il explique que leur moteur de rendu OctaneRender est déjà très utilisé pour générer les images 3D de nombreux NFT et permettra bientôt de raffiner le rendu “live” à l’intérieur des métavers. Cette puissance de calcul graphique délocalisée nous permettra de vivre une expérience immersive depuis nos téléphones sans pour autant disposer d’une machine de guerre.
Le CEO de OTOY parle aussi de systèmes d’affichage holographiques pour lesquels il voit un grand avenir.
“Nous avons aussi des systèmes d’affichage holographiques que les gens ne prenaient pas au sérieux jusqu’à ce qu’ils voient des hologrames humains utilisant des OLEDs. Les futurs NFT existeront sous cette forme dans nos tablettes et téléphones et c’est comme regarder dehors depuis une fenêtre sans casque ni lunette, c’est une véritable simulation et il n’y a rien de comparable. Le rendu nécessaire est 1.000 fois supérieur à la technologie 4K, il faudra donc une grande capacité de calcul locale, sur le cloud ou sur le Render Network pour rendre ces expériences réelles. Heureusement à mesure que le Render Network grandit et que le coût de rendu diminue nous pourrons offrir des solutions, y compris pour un rendu live. Ces systèmes de rendu holographiques c’est le futur, vous n’aurez pas besoin de lunettes quand ces systèmes seront aussi bon marché que les OLEDs le sont aujourd’hui et ça arrivera dans les 10-15 ans”.
Jules Urbach, CEO de OTOY.
D’autres entreprises investissent et innovent pour saisir les opportunités offertes par la création de ces métavers. Sony a récemment breveté et présenté le prototype d’un casque de réalité virtuelle nouvelle génération. Cette nouvelle technologie permettrait de réduire très significativement la sensation de vertige qu’expérimenteraient 75% des utilisateurs grâce à l’amélioration de la définition de l’image.
La recherche universitaire américaine y met aussi du sien. Le MIT (Massachusetts Institute of Technology) a présenté le mois dernier une technique novatrice de “Machine Learning” qui génère des scènes 3D à partir d’images 2D à une vitesse 15.000 fois plus rapide que les modèles existants. En découvrant cette innovation voici la réaction d’un professeur de l’université concurrente de Stanford :
« Le rendu neuronal a récemment permis un rendu photoréaliste et l’édition d’images à partir d’un ensemble clairsemé d’images. Malheureusement, toutes les techniques existantes sont très coûteuses en calcul, empêchant les applications qui nécessitent un traitement en temps réel comme la vidéoconférence. Ce projet fait un grand pas vers une nouvelle génération d’algorithmes de rendu neuronal efficaces et mathématiquement élégants.”
Gordon Wetzstein, professeur agrégé de génie électrique à l’Université de Stanford
Alors certes le métavers ultime n’est pas pour demain et franchir un tel saut technologique ne peut se faire en un claquement de doigt mais de nombreuses personnes talentueuses mettent énormément de temps, d’argent et de passion à l’ouvrage. Les évolutions technologiques dans le monde des cryptos, NFT et métavers avancent à une vitesse qui inspire l’humilité et certains semblent bien mal inspirés de porter sur ces gens déraisonnables un regard condescendant. Profitons-en pour rappeler que le premier vol motorisé d’Orville Wright n’a parcouru que 37 mètres en 12 secondes sans impressioner personne. Les braves gens préféraient largement vélo.