Toutes attirées par un marché dont on leur promet qu’il pèsera un jour plusieurs trillions de dollars, les grandes entreprises se jettent à corps perdu dans les “metaverses” ou métavers. Hier c’était au tour de Carrefour d’annoncer l’achat d’une parcelle dans The Sandbox, non sans avoir été précédé par le géant du secteur Wallmart. Comment ces entreprises envisagent-elles de profiter de l’avènement des métavers ? Les métavers de demain seront-ils vraiment ceux qu’ils imaginent ?

“Human or not” – NFT de l’artiste Mite en vente sur la plateforme OpenSea
Leur métavers rêvé

Certains d’entre vous se souviennent peut-être que la banque Goldman Sachs souhaitait créer en 2015 sa propre cryptomonnaie pour concurrencer le bitcoin… Que dire du consortium bancaire R3 créé en 2014 qui voulait utiliser la “technologie révolutionnaire de la blockchain” ? Il aura fallu à ces grandes institutions financières pas moins de 3 ans et $59 millions d’investissement pour réaliser que leur livre de compte distribué et privé n’avait en réalité rien d’une… “block chain” révolutionnaire.

C’est désormais au tour des banques indiennes de créer leur “blockchain privée”, une sorte d’intranet à l’heure de l’internet. En réalité encore aujourd’hui la véritable blockchain publique et décentralisée ne convient toujours pas aux banques et on comprend pourquoi

Et voilà que désormais tout le monde s’y met. Enterrée la blockchain, oubliées les cryptomonnaies, à présent le futur c’est le métavers ! Ce monde dans lequel vous pourrez admirer un soleil digital en restant affalé dans votre canapé et visiter nos magasins virtuels en toute sécurité ! Cependant l’enthousiasme de ces multinationales ne semble pas vraiment partagé au vu des nombreuses réactions négatives sur les réseaux sociaux.

Il est vrai qu’un monde digital conçu et exploité par Meta tout comme un métavers rempli de magasins de multinationales paraissent plus dystopiques que révolutionnaires. D’ailleurs qui pourrait croire qu’une entreprise au modèle économique reposant sur l’exploitation de données personnelles ou que d’autres refusant encore les paiements en cryptomonnaies puissent nous entraîner vers une révolution digitale libératrice ?

Profitons-en pour rappeler que la différence entre un monde digital comme Second Life (créé en 2002) et les métavers actuels réside dans la présence de NFT et de cryptomonnaies. C’est l’utilisation de ces canaux d’échanges financiers libertaires et incensurables qui, couplés à ces nouveaux canaux d’échanges sociaux représente une révolution. En mettant notamment en relation clients et fournisseurs adeptes des cryptomonnaies, elle présage l’émancipation des tierces parties, une vision aux antipodes de celle de Meta et de son métavers centralisé.

Ce n’est pas non plus la révolution que sont prêtes à adopter les entreprises de la grande distribution et autres multinationales. En effet comment accepter un métavers dérégulé aux barrières à l’entrée inexistantes ? Comment accepter de ne plus collecter des données clients sur de telles applications décentralisées et anonymes ? Et surtout comment adapter son modèle économique à des paiements en cryptomonnaies volatiles et refusées par leurs partenaires bancaires et fournisseurs ?

Pour finir ce n’est bien évidemment pas la révolution que souhaitent les banques. Elles deviendraient de facto inutiles dans un monde digital où les échanges financiers viendraient à s’effectuer directement de pair-à-pair. Celles-ci adhèrent cependant aux métavers centralisés comme celui de Meta dans l’espoir de pouvoir tirer leur épingle du jeu. Le rapport publié hier par Morgan Stanley illustre très bien la vision de ces institutions financières pour le futur du métavers.

Dans cette étude intitulée “Luxury in the metaverse”, la banque américaine estime ce futur marché à $8 trillions… rien qu’en Chine ! De quoi exciter les papilles des multinationales dans ce pays porte-drapeau de la liberté et de la décentralisation financière. Morgan Stanley a aussi cru bon d’exclure les NFT de cette valorisation considérant que ce marché négligeable de $25 milliards en 2021 souffrirait d’un risque législatif à long terme… On croirait lire un rapport “pro-blockchain” de 2015 ignorant l’insignifiante mais dangereuse Bitcoin.

L’avenir dira si les milliards investis par Meta suffiront à convaincre des personnes de se rendre dans leur métavers polissé et régulé pour socialiser et échanger sous la supervision de Mark Zuckerberg. L’avenir dira aussi si les consommateurs trouveront un intérêt à visiter un Carrefour ou un Wallmart sous forme de magasin digital aux règles bien encadrées pour y faire leurs courses. Il existera cependant une alternative : des métavers décentralisés libertaires et anonymes.

Certains sont visiblement impatients de visiter Wallmart dans le metaverse mais pas pour y faire leurs courses.
Les métavers décentralisés

Les métavers décentralisés sont radicalement différents du métavers de Meta. Ils ne sont pas créés grâce aux milliards de Mark Zuckerberg mais grâce aux milliards des utilisateurs via leurs achats de NFT. Dans le premier cas, une large partie des profits générés seront reversés à Meta. Dans le second ils le seront aux détenteurs et utilisateurs de NFT, ainsi qu’aux développeurs. C’est sur ce second modèle économique distribué que se construisent des métavers décentralisés comme Polka City ou Sin City. L’objectif à terme est même de remettre les rennes du métavers aux mains des utilisateurs via la création d’une application autonome décentralisée (DAO).

Dans un métavers décentralisé la propriété digitale est utilisable et transférable de pair-à-pair sans restriction. Un artiste rwandais sans compte en banque pourra y vendre ses œuvres sous forme de NFT, un comptable indien y offrir ses services à des clients du monde entier contre des cryptomonnaies, anonymement et sans intermédiaire bancaire. Rappelons que dans notre monde plus de 2 milliards de personnes aussi talentueuses soient-elles n’ont pas de compte en banque et 3 milliards de plus n’ont accès qu’à des services bancaires très basiques. Enfin 80% des êtres humains sont soumis à un contrôle monétaire strict leur empêchant souvent de sortir leur argent du pays.

source image : Polkacity.io

A contrario dans le monde digital centralisé de Meta la communication et les échanges en cryptomonnaies ne pourront qu’y être bridés et contrôlés. Ce sera la seule manière d’empêcher les gens d’échanger directement de pair-à-pair et de rester en bons termes avec les institutions monétaires internationales, ouvrant par ailleurs la voie à un ponctionnement des échanges financiers à l’intérieur du métavers. La participation ne pourra quant à elle demeurer anonyme pour les mêmes raisons, permettant ainsi l’exploitation de données personnelles.

Il y a fort à parier que Meta tentera de convaincre de la nécessité de son métavers régulé pour faire face aux dangereux métavers décentralisés. D’ailleurs lors du “beta test” de sa plateforme VR platform Horizon Worlds, une femme s’est plaint d’avoir été “violée” seulement “60 secondes après l’avoir intégré”. Cette agression par un gang virtuel de 3 ou 4 avatars hommes a instantanément généré un buzz planétaire. Cependant l’ensemble des médias (1 2 3…) a oublié de faire son travail en omettant de préciser que la victime Nina Jane Patel est la co-fondatrice de Kabuni, un métavers éducatif régulé et équipé de contrôle parentaux… C’est pourtant ce qu’on appelle un buzz curieusement bienvenu.

Ces comportements outranciers feront partie des métavers comme ils existent déjà sur les réseaux sociaux et on pourrait réfléchir à la possibilité que chacun puisse bloquer d’autres avatars, y compris dans les métavers décentralisés. Cependant il sera impossible pour ces grandes entreprises de prétendre éteindre la flamme de la décentralisation née en 2009 et de laquelle découle l’incensurabilité. Sans intégrer les NFT et cryptomonnaies décentralisées dans leur logique économique toutes leurs gesticulations métaversiques seront probablement vouées à l’échec.